La loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative a introduit un dispositif temporaire permettant aux salariés de monétiser leurs jours de réduction du temps de travail (RTT) non pris, avec une exonération fiscale spécifique lorsque les sommes sont versées sur un Plan d’Épargne Retraite (PER). Cette mesure, prolongée jusqu’au 31 décembre 2025 par la loi de finances pour 2023, représente une opportunité significative d’optimisation fiscale pour les contribuables. Ce mécanisme s’inscrit dans une stratégie plus large visant à encourager l’épargne retraite tout en offrant une souplesse accrue dans la gestion du temps de travail. Analysons en profondeur les aspects juridiques, fiscaux et pratiques de ce dispositif pour en comprendre les enjeux et les avantages potentiels.
Le cadre juridique de la monétisation des jours RTT
La monétisation des jours de RTT constitue une dérogation au principe selon lequel ces jours doivent être pris sous forme de repos. Historiquement, la conversion des RTT en rémunération n’était possible que dans des cas limités, notamment pour les cadres au forfait jours.
Le dispositif temporaire instauré par la loi de finances rectificative pour 2022 a considérablement élargi cette possibilité. Il permet à tout salarié, sur sa demande et avec l’accord de son employeur, de renoncer à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025.
Base légale et évolution réglementaire
L’article 5 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 constitue le fondement juridique de ce mécanisme. Ce texte a été complété par l’article 2 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 qui a prolongé le dispositif initialement prévu jusqu’à fin 2023 jusqu’au 31 décembre 2025.
Cette disposition s’inscrit dans la continuité des mesures visant à assouplir le cadre des 35 heures tout en préservant les droits des salariés. Elle répond à une double préoccupation : offrir plus de flexibilité aux entreprises dans la gestion du temps de travail et permettre aux salariés d’augmenter leur pouvoir d’achat ou de renforcer leur épargne retraite.
Conditions d’application du dispositif
Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour bénéficier de ce dispositif :
- La demande doit émaner du salarié
- L’employeur doit donner son accord (il n’existe aucune obligation pour l’employeur d’accepter)
- Seuls les jours acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025 sont concernés
- Le dispositif s’applique aux journées ou demi-journées de repos attribuées au titre d’un accord d’aménagement du temps de travail
La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de préciser les contours de ce dispositif relativement récent. Toutefois, il convient de noter que les règles générales du droit du travail continuent de s’appliquer, notamment en matière de non-discrimination et d’égalité de traitement entre les salariés.
Traitement fiscal des versements issus de la monétisation des RTT
L’un des aspects les plus avantageux de ce dispositif réside dans son traitement fiscal particulièrement favorable lorsque les sommes issues de la monétisation des RTT sont versées sur un Plan d’Épargne Retraite.
Régime fiscal de droit commun
En principe, les sommes perçues au titre de la monétisation des RTT sont soumises au régime fiscal de droit commun applicable aux salaires. Elles sont donc intégrées dans le revenu imposable du contribuable et soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Ces sommes sont par ailleurs assujetties aux cotisations sociales et entrent dans l’assiette de calcul de la CSG et de la CRDS. En définitive, sans disposition particulière, la monétisation des RTT serait fiscalement neutre par rapport à un salaire classique.
Exonération fiscale en cas de versement sur un PER
Le législateur a prévu un régime dérogatoire particulièrement avantageux. Lorsque les sommes issues de la monétisation des RTT sont versées par le salarié sur un Plan d’Épargne Retraite, elles bénéficient d’une exonération d’impôt sur le revenu.
Cette exonération s’applique dans la limite d’un plafond annuel de 7.500 euros. Ce montant est particulièrement significatif puisqu’il vient s’ajouter aux autres plafonds de déduction fiscale applicables aux versements volontaires sur un PER.
Il convient de préciser que les sommes demeurent soumises aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS et autres contributions) au moment de leur versement par l’employeur. L’avantage fiscal porte donc exclusivement sur l’impôt sur le revenu.
Articulation avec le plafond global de déductibilité
Un aspect particulièrement intéressant de ce dispositif est qu’il fonctionne indépendamment des plafonds habituels de déductibilité des versements sur un PER. En effet, le Code général des impôts prévoit un plafond annuel de déduction fiscale pour les versements volontaires sur un PER, correspondant à 10% des revenus professionnels, limité à 8 fois le Plafond Annuel de la Sécurité Sociale (PASS).
Les sommes issues de la monétisation des RTT versées sur un PER bénéficient d’une exonération fiscale qui s’ajoute à ce plafond général. Cette caractéristique fait de ce dispositif un outil d’optimisation fiscale particulièrement efficace, notamment pour les contribuables qui ont déjà atteint leur plafond de déduction.
Prenons l’exemple d’un cadre dont le revenu net imposable s’élève à 80.000 euros. Son plafond de déduction pour les versements sur un PER est de 8.000 euros (10% de ses revenus). S’il monétise 10 jours de RTT pour une valeur de 5.000 euros et verse cette somme sur son PER, il pourra bénéficier d’une déduction fiscale totale de 13.000 euros (8.000 + 5.000).
Modalités pratiques et incidences sur l’épargne retraite
La mise en œuvre concrète du dispositif de monétisation des RTT avec versement sur un PER soulève plusieurs questions pratiques que les contribuables et les entreprises doivent maîtriser pour optimiser leurs stratégies.
Procédure de monétisation et versement sur le PER
Le processus de monétisation des RTT et de versement sur un Plan d’Épargne Retraite se déroule généralement en plusieurs étapes :
- Le salarié formule une demande écrite à son employeur indiquant le nombre de jours qu’il souhaite monétiser
- L’employeur examine la demande et donne ou non son accord
- En cas d’accord, l’employeur procède au paiement des jours monétisés sur la fiche de paie
- Le salarié effectue lui-même le versement sur son PER (individuel ou d’entreprise)
- Lors de sa déclaration de revenus, le contribuable indique le montant versé sur son PER provenant de la monétisation des RTT
Il est primordial que le salarié conserve tous les justificatifs (demande de monétisation, bulletins de salaire, preuve du versement sur le PER) pour pouvoir justifier de l’origine des fonds en cas de contrôle fiscal.
Impact sur l’épargne retraite et stratégies d’optimisation
L’impact de ce dispositif sur la constitution d’une épargne retraite peut être substantiel. En effet, la monétisation des RTT avec versement sur un PER présente un double avantage :
D’une part, elle permet d’augmenter significativement les versements sur le PER grâce à l’enveloppe supplémentaire de 7.500 euros par an. D’autre part, l’exonération fiscale associée renforce l’efficacité de cette épargne.
Pour un contribuable soumis à la tranche marginale d’imposition de 30%, la monétisation de RTT pour 7.500 euros versés sur un PER représente une économie d’impôt immédiate de 2.250 euros. Cette somme vient s’ajouter à la valeur capitalisée de l’épargne qui fructifiera jusqu’à la retraite.
Pour optimiser cette stratégie, plusieurs approches peuvent être envisagées :
Privilégier la monétisation des RTT pour les contribuables déjà au plafond de leurs versements déductibles sur un PER. Combiner cette monétisation avec d’autres dispositifs d’épargne retraite, comme le versement d’abondement par l’employeur sur un PER d’entreprise. Échelonner les versements sur plusieurs années pour bénéficier du plafond de 7.500 euros chaque année jusqu’en 2025.
Considérations en matière de temps de travail et d’équilibre vie professionnelle/personnelle
Au-delà des aspects purement financiers et fiscaux, la décision de monétiser des jours de RTT doit tenir compte d’autres considérations, notamment en termes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Les RTT ont été conçus pour permettre une réduction effective du temps de travail et favoriser cet équilibre. Leur monétisation systématique pourrait aller à l’encontre de cet objectif. Il appartient donc à chaque salarié de trouver le juste équilibre entre optimisation fiscale et préservation de son temps de repos.
Par ailleurs, certaines conventions collectives ou accords d’entreprise peuvent prévoir des dispositions particulières concernant la prise des RTT qu’il convient de respecter. La monétisation, même avec l’accord de l’employeur, ne doit pas contrevenir à ces dispositions.
Comparaison avec d’autres dispositifs d’optimisation fiscale liés au PER
Pour apprécier pleinement l’intérêt de la monétisation des RTT avec versement sur un PER, il est utile de comparer ce mécanisme avec d’autres dispositifs d’optimisation fiscale liés à l’épargne retraite.
Versements volontaires classiques sur un PER
Les versements volontaires sur un Plan d’Épargne Retraite bénéficient d’une déductibilité fiscale dans la limite de 10% des revenus professionnels de l’année précédente, plafonnés à 8 fois le PASS. Pour 2023, ce plafond s’élève à 34.974 euros pour un salarié (10% × 349.740 euros).
Contrairement à la monétisation des RTT, ces versements proviennent directement des revenus déjà imposés du contribuable. L’avantage fiscal se matérialise donc par une réduction de l’assiette imposable, dont l’impact dépend de la tranche marginale d’imposition.
La monétisation des RTT présente l’avantage de créer une source de financement supplémentaire pour le PER, qui bénéficie par ailleurs d’une exonération fiscale complète (et non d’une simple déduction), dans la limite de 7.500 euros par an.
Transfert de l’épargne salariale vers un PER
Les sommes détenues sur un Plan d’Épargne Entreprise (PEE) ou un Plan d’Épargne Interentreprises (PEI) peuvent être transférées vers un PER avant leur date de disponibilité. Ces transferts ne bénéficient toutefois d’aucun avantage fiscal particulier, les sommes ayant déjà profité d’une exonération lors de leur versement initial.
En revanche, le transfert d’un Compte Épargne Temps (CET) vers un PER bénéficie d’une exonération d’impôt sur le revenu, dans la limite de 10 jours par an. Ce dispositif se rapproche de la monétisation des RTT mais avec un plafond généralement plus bas (la valeur de 10 jours étant souvent inférieure à 7.500 euros).
La monétisation des RTT avec versement sur un PER se distingue par son plafond exprimé en valeur absolue (7.500 euros) plutôt qu’en nombre de jours, ce qui peut être plus avantageux pour les salaires élevés.
Versements de l’épargne issue d’un déblocage exceptionnel
Le législateur autorise parfois des déblocages exceptionnels de l’épargne salariale, comme ce fut le cas avec la loi du 16 août 2022 qui a permis un déblocage anticipé jusqu’au 31 décembre 2022, dans la limite de 10.000 euros.
Si ces sommes sont réinvesties sur un PER, elles ne bénéficient pas d’un avantage fiscal spécifique puisqu’elles ont déjà été exonérées lors de leur versement initial sur le plan d’épargne salariale.
La monétisation des RTT offre donc un avantage fiscal plus direct et plus immédiat que ces dispositifs de déblocage, qui visent davantage à réorienter une épargne déjà constituée qu’à créer une nouvelle épargne fiscalement avantageuse.
Enjeux et perspectives du dispositif jusqu’à 2025
Le dispositif de monétisation des RTT avec versement sur un PER étant désormais prolongé jusqu’au 31 décembre 2025, il est pertinent d’examiner les enjeux et perspectives qu’il soulève à moyen terme.
Évolutions possibles du cadre légal
Bien que le dispositif soit actuellement prévu jusqu’à fin 2025, plusieurs facteurs pourraient influencer son évolution future :
Le contexte économique et les priorités gouvernementales en matière de politique fiscale pourraient conduire à une nouvelle prolongation au-delà de 2025, voire à une pérennisation du dispositif. À l’inverse, des contraintes budgétaires pourraient entraîner sa remise en cause anticipée.
Des ajustements techniques pourraient être apportés, notamment concernant le plafond d’exonération ou les modalités pratiques de mise en œuvre. Par exemple, une indexation du plafond de 7.500 euros sur l’inflation pourrait être envisagée.
L’administration fiscale pourrait préciser certains aspects du dispositif par voie doctrinale, notamment concernant les justificatifs à produire ou l’articulation avec d’autres mécanismes d’épargne retraite.
Les contribuables ont donc intérêt à suivre attentivement les évolutions législatives et réglementaires pour adapter leur stratégie d’optimisation fiscale en conséquence.
Implications à long terme pour l’épargne retraite
Ce dispositif s’inscrit dans une tendance plus large visant à encourager la constitution d’une épargne retraite complémentaire face aux défis démographiques et financiers que rencontrent les régimes de retraite par répartition.
À long terme, plusieurs effets peuvent être anticipés :
Une augmentation significative des encours des PER, renforçant ainsi le poids de l’épargne retraite dans le patrimoine financier des ménages français. Cette tendance pourrait être amplifiée par d’autres mesures incitatives.
Un développement de l’offre des gestionnaires de PER, avec une diversification des supports d’investissement et une baisse potentielle des frais sous l’effet de la concurrence accrue.
Une sensibilisation accrue des salariés aux enjeux de la préparation financière de la retraite, les incitant à adopter une approche plus globale et plus proactive de leur épargne de long terme.
Stratégies pluriannuelles d’optimisation
La prolongation du dispositif jusqu’en 2025 permet d’envisager des stratégies d’optimisation fiscale sur plusieurs années. Voici quelques approches que les contribuables peuvent considérer :
Lissage des versements : Plutôt que de monétiser un grand nombre de jours de RTT une seule année, il peut être judicieux de répartir cette monétisation sur plusieurs années pour bénéficier du plafond de 7.500 euros chaque année jusqu’en 2025.
Combinaison avec d’autres dispositifs : La monétisation des RTT peut s’inscrire dans une stratégie plus large combinant différents dispositifs d’épargne retraite (versements volontaires déductibles, transferts de CET, etc.) pour maximiser l’avantage fiscal global.
Anticipation fiscale : Les contribuables qui anticipent des variations importantes de leurs revenus ou de leur taux marginal d’imposition dans les prochaines années peuvent ajuster le timing de leurs versements pour optimiser l’impact fiscal.
Par exemple, un contribuable qui prévoit une augmentation significative de ses revenus en 2024 pourrait privilégier des versements volontaires déductibles cette année-là (dont l’avantage fiscal sera plus important du fait d’un taux marginal plus élevé) et réserver la monétisation de ses RTT pour 2023 ou 2025.
L’avenir de l’optimisation fiscale via le PER
Le dispositif de monétisation des RTT avec versement sur un PER s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation de l’épargne retraite en France. Cette évolution invite à réfléchir aux perspectives futures de l’optimisation fiscale liée à l’épargne retraite.
Le PER comme pilier central de l’optimisation fiscale patrimoniale
Depuis sa création par la loi PACTE de 2019, le Plan d’Épargne Retraite s’est progressivement imposé comme un instrument central de l’optimisation fiscale patrimoniale. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance :
La souplesse du PER en termes de sorties (capital, rente ou mixte) le rend plus attractif que les anciens produits d’épargne retraite comme le PERP ou le contrat Madelin.
La possibilité de déblocage anticipé dans certaines situations (achat de la résidence principale, invalidité, décès du conjoint, etc.) renforce sa flexibilité tout en préservant sa vocation de long terme.
Le cadre fiscal avantageux, avec une déduction à l’entrée et une imposition différée à la sortie, permet une optimisation fiscale significative, particulièrement pour les contribuables fortement imposés.
La monétisation des RTT avec versement sur un PER renforce encore l’attrait de ce produit en offrant une source de financement supplémentaire bénéficiant d’une exonération totale d’impôt sur le revenu.
Vers une consolidation des différents dispositifs d’épargne retraite ?
La multiplication des dispositifs spécifiques (monétisation des RTT, transfert de CET, versements volontaires déductibles, etc.) pose la question d’une éventuelle consolidation future du cadre juridique et fiscal de l’épargne retraite.
Plusieurs scénarios peuvent être envisagés :
Une harmonisation des plafonds et des régimes fiscaux applicables aux différentes sources d’alimentation du PER, pour plus de lisibilité et d’équité.
Une simplification administrative avec, par exemple, la mise en place de procédures automatisées pour le versement direct des RTT monétisées sur le PER, sans passer par la rémunération du salarié.
Une réflexion globale sur l’articulation entre épargne salariale et épargne retraite, qui pourrait conduire à des passerelles plus fluides entre ces différents dispositifs.
Ces évolutions potentielles s’inscriraient dans la continuité de la loi PACTE, dont l’un des objectifs était précisément de simplifier et d’harmoniser le paysage de l’épargne retraite en France.
Recommandations pour les contribuables dans un horizon 2025
Face aux incertitudes sur l’avenir du dispositif au-delà de 2025, plusieurs recommandations peuvent être formulées à l’attention des contribuables souhaitant optimiser leur situation :
Exploiter pleinement le dispositif actuel jusqu’en 2025, en planifiant dès maintenant la monétisation de RTT sur les trois prochaines années.
Diversifier les stratégies d’optimisation fiscale en combinant différents dispositifs (monétisation des RTT, versements volontaires déductibles, transferts de CET, etc.).
Anticiper l’après-2025 en constituant progressivement une épargne disponible qui pourra être versée sur le PER si le dispositif n’est pas reconduit.
Rester informé des évolutions législatives et réglementaires pour adapter sa stratégie en conséquence.
En définitive, la monétisation des RTT avec versement sur un PER représente une opportunité significative d’optimisation fiscale jusqu’en 2025. Les contribuables ont tout intérêt à intégrer ce dispositif dans leur stratégie patrimoniale globale, tout en restant attentifs aux évolutions futures du cadre juridique et fiscal.
