La pandémie de COVID-19 a profondément chamboulé le paysage de la formation professionnelle en France. Entre adaptations réglementaires et nouvelles pratiques, les acteurs du secteur ont dû faire preuve d’une agilité remarquable. Cet article analyse les impacts juridiques majeurs de cette crise sur la formation professionnelle et leurs conséquences durables pour les entreprises et les salariés.
1. L’émergence de la formation à distance comme norme
La distanciation sociale imposée par la crise sanitaire a contraint les organismes de formation à repenser leurs modalités pédagogiques. Le cadre juridique a dû s’adapter rapidement pour permettre la généralisation de la formation à distance. L’ordonnance n°2020-387 du 1er avril 2020 a ainsi assoupli les conditions de réalisation des actions de formation à distance, en permettant notamment la mise en œuvre de formations jusqu’alors exclusivement réalisées en présentiel.
Cette évolution a nécessité une redéfinition des critères de qualité et de traçabilité des formations. Les organismes ont dû mettre en place des systèmes de suivi renforcés pour justifier de la réalité des actions de formation à distance. La DGEFP (Délégation Générale à l’Emploi et à la Formation Professionnelle) a publié des recommandations précises sur les modalités de contrôle et de justification des heures de formation réalisées à distance.
2. L’adaptation des dispositifs de financement
La crise sanitaire a entraîné une refonte des modalités de financement de la formation professionnelle. Le gouvernement a mis en place des mesures exceptionnelles pour soutenir les entreprises et les salariés dans leurs efforts de formation pendant cette période difficile. Le FNE-Formation (Fonds National de l’Emploi) a été considérablement renforcé, avec une prise en charge pouvant aller jusqu’à 100% des coûts pédagogiques pour les entreprises en activité partielle.
Ces nouvelles dispositions ont nécessité une adaptation des procédures de demande et de justification des financements. Les OPCO (Opérateurs de Compétences) ont dû revoir leurs processus pour traiter un volume accru de demandes dans des délais restreints. La loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 a par ailleurs prolongé certaines mesures dérogatoires jusqu’au 30 juin 2021, témoignant de la nécessité d’une flexibilité juridique prolongée face à la crise.
3. Le renforcement du droit à la formation des salariés
La période de crise a mis en lumière l’importance cruciale de la formation continue pour l’adaptation et la résilience des salariés. Le législateur a renforcé le droit à la formation en facilitant l’accès aux dispositifs existants. L’ordonnance n°2020-1501 du 2 décembre 2020 a ainsi assoupli les conditions d’utilisation du Compte Personnel de Formation (CPF), permettant notamment son utilisation pour des formations à distance de courte durée.
Cette évolution s’est accompagnée d’une responsabilisation accrue des employeurs en matière de formation. L’obligation d’adaptation des salariés à leur poste de travail, déjà présente dans le Code du travail, a pris une nouvelle dimension dans le contexte de la crise sanitaire. Les entreprises ont dû redoubler d’efforts pour maintenir l’employabilité de leurs salariés, sous peine de s’exposer à des risques juridiques accrus en cas de licenciement pour motif économique.
4. La digitalisation des processus administratifs
La crise sanitaire a accéléré la dématérialisation des processus administratifs liés à la formation professionnelle. La signature électronique des conventions de formation et des attestations de présence est devenue la norme, nécessitant une adaptation du cadre juridique. Le décret n°2020-1682 du 23 décembre 2020 a précisé les modalités de mise en œuvre de cette dématérialisation, en fixant notamment les exigences en matière de sécurité et de conservation des documents électroniques.
Cette évolution a soulevé de nouvelles questions juridiques, notamment en matière de protection des données personnelles. Les organismes de formation ont dû renforcer leurs procédures pour garantir la conformité au RGPD dans le cadre des formations à distance. La CNIL a publié des recommandations spécifiques pour encadrer la collecte et le traitement des données personnelles dans ce nouveau contexte.
5. L’émergence de nouveaux contentieux
La crise sanitaire a fait émerger de nouveaux types de contentieux liés à la formation professionnelle. Des litiges sont apparus concernant la qualité des formations à distance, certains stagiaires contestant la valeur des certifications obtenues dans ces conditions exceptionnelles. Les tribunaux ont dû se prononcer sur la validité des formations réalisées intégralement à distance, en l’absence de cadre juridique préexistant.
Par ailleurs, des contentieux sont apparus concernant le respect de l’obligation de formation par les employeurs pendant la période de crise. Certains salariés ont contesté le manque d’efforts de leur entreprise pour maintenir leur employabilité pendant les périodes d’activité partielle. Ces affaires ont conduit à une jurisprudence naissante, précisant les contours de l’obligation de formation dans un contexte de crise.
6. Les perspectives d’évolution du cadre juridique
La crise sanitaire a mis en lumière la nécessité d’une refonte plus profonde du cadre juridique de la formation professionnelle. Des réflexions sont en cours pour pérenniser certaines mesures exceptionnelles prises pendant la crise. Le projet de loi « 4D » (Décentralisation, Différenciation, Déconcentration et Décomplexification) prévoit notamment de donner plus de flexibilité aux régions dans la gestion des politiques de formation professionnelle.
Ces évolutions s’inscrivent dans une tendance de fond visant à adapter le droit de la formation professionnelle aux enjeux du monde post-Covid. Les notions de compétences transversales et de parcours de formation hybrides sont appelées à prendre une place croissante dans le paysage juridique de la formation professionnelle.
La crise sanitaire a profondément transformé le paysage juridique de la formation professionnelle en France. Les adaptations rapides mises en place pour répondre à l’urgence ont ouvert la voie à des évolutions plus profondes du cadre réglementaire. Les acteurs du secteur doivent désormais intégrer ces nouvelles dimensions juridiques dans leur stratégie de développement des compétences. La formation professionnelle sort de cette crise profondément transformée, avec un cadre juridique plus flexible mais aussi plus exigeant en termes de qualité et de traçabilité. Ces évolutions constituent un défi majeur pour les entreprises et les organismes de formation, mais offrent aussi de nouvelles opportunités pour repenser la place de la formation dans le monde du travail de demain.